Fitbit sort de sa zone de confort. Le constructeur de bracelets et de traqueurs d’activité se lance avec la Ionic à l’assaut des montres connectées avec quelques sérieux atouts en poche.
D’abord, en matière de suivi de l’activité physique : après tout, Fitbit est le numéro un (ou deux) mondial dans cette catégorie. Mais le fabricant est maintenant attendu sur l’aspect montre connectée. Il s’est en effet offert deux spécialistes du genre, Vector et surtout Pebble, le pionnier du secteur autour duquel s’était forgée une petite communauté d’irréductibles.
La Ionic est le fruit de ce puzzle de compétences. Cette première montre connectée est-elle mûre pour autant ? Test.
Un design, quel design ?
Personne ne se retournera sur votre passage avec la Ionic au poignet. Ce n’est sans doute pas le but de la majorité des porteurs de montres… mais si Fitbit avait voulu concevoir le produit le plus passe-partout possible, il ne s’y serait pas pris autrement.
Le boitier est conçu dans une pièce d’aluminium Series 6000 — un alliage de magnésium et de silicium —, le même métal dont était fait l’iPhone 6. La génération suivante a emprunté l’aluminium Series 7000 de l’Apple Watch Sport, plus résistant… et moins sujet aux pliages malheureux.
Quoi qu’il en soit, pour un produit aussi petit qu’une montre, ce n’est pas un mauvais choix. Les formes très anguleuses du boîtier lui donne un air de montre qui aurait eu sa place dans les films d’anticipation des années 80. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas c’est certain, mais parfois oui… et il faut bien reconnaitre que la Ionic n’a pas beaucoup de personnalité.
Un sentiment renforcé par la présence de la marque Fitbit en façade, qui contribue à l’aspect cheap du produit. Le boîtier comprend un bouton latéral à gauche, et deux boutons à droite. L’écran rectangulaire, protégé par un revêtement Gorilla Glass 3, affiche une luminosité de 1 000 nits, à l’identique des Apple Watch depuis la Series 2. L’écran LCD (348 x 250, 302 ppp) se révèle effectivement très lumineux, avec des couleurs éclatantes. Tout cela est bel et bon.
Ce qui est plus contestable en revanche, c’est le design de l’appareil qui le fait ressembler à un traqueur d’activité bien plus qu’à une montre. De ce point de vue, Apple a fait preuve d’un vrai travail en profondeur pour proposer quelque chose que l’on peut porter en toute occasion.
Ce soin tout relatif porté au design est aussi visible au dos de la montre. C’est entendu, personne n’ira jeter un œil sur ce à quoi ressemble l’arrière de l’appareil, personne… à part l’utilisateur, ce qui est suffisant pour faire un petit effort. Là encore, Apple a montré le chemin avec les dos en composite ou en céramique de ses Apple Watch.
Chez Fitbit, c’est fade et sans saveur. On y retrouve évidemment les différents capteurs ainsi que les contacts pour l’alimentation, le tout présenté comme sur un traqueur d’activité lambda. Ça ne serait pas un problème si la Ionic était vendue comme tel, mais Fitbit promeut l’appareil comme une montre connectée — au prix d’une montre connectée. Tout le design de l’appareil est à l’avenant.
Des bracelets peu attachants
En dehors d’une activité sportive, on voit mal ce qui pourrait pousser quiconque à porter la Ionic au quotidien. Ce d’autant que les bracelets n’améliorent pas spécialement les qualités esthétiques de la montre. Fitbit a mis au point un système d’installation et de retrait mécanique assez efficace : on appuie sur une petite barre pour retirer le morceau de bracelet du boîtier. La mise en place d’un autre bracelet consiste simplement à le glisser dans l’encoche jusqu’à entendre un clic.
Le bracelet Classique fourni en deux tailles est composé d’élastomère, il se ferme avec une grosse boucle en aluminium accompagnée d’un fermoir aimanté qui vient s’insérer dans une des encoches du bracelet. Il n’est pas évident de passer le tout autour du poignet, l’aimant ayant tendance à accrocher la boucle au moment de glisser le bracelet dans le passant.
Nous avons eu aussi l’occasion d’essayer le bracelet Sport, qui reprend l’élastomère de son collègue Classique, mais cette fois percé de petits trous. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les bracelets Nike+. Le système de fermeture abandonne l’aimant pour un simple passant et une boucle ardillon à deux tiges. Là aussi, il est un peu compliqué de passer ce bracelet autour du poignet, le passant étant si serré que le morceau d’élastomère du bracelet a du mal à glisser à l’intérieur.
Dans les deux cas, ces bracelets sont une fois encore loin de se montrer à la hauteur de ceux en fluoroélastomère de l’Apple Watch, qui peuvent se porter en toutes circonstances. Nous n’avons pas eu l’occasion de tester le modèle en cuir.
Une montre connectée a minima
Fitbit ne commercialise pas qu’un traqueur d’activité. La Ionic est aussi présentée comme une montre connectée, ce qu’elle est… si on n’a pas beaucoup d’exigences en la matière. Les notifications s’affichent bien sûr à l’écran ; il suffit de les toucher pour les déplier et obtenir plus d’informations. En glissant une notification vers la droite, on la supprimera. Toutefois, les interactions s’arrêtent là.
Il est impossible de répondre à un tweet ou un message, ce qui n’est pas forcément du fait de Fitbit : à l’époque, Pebble avait mis au point un système particulièrement complexe pour les réponses depuis ses montres. Mais cette solution se limitait à quelques opérateurs américains. Fitbit n’a pas repris cette idée.
Bon point, l’application Fitbit permet un contrôle granulaire des alertes. On peut ainsi sélectionner les apps qui pourront afficher leurs notifications au poignet.
À la réception d’une alerte, la montre vibre évidemment, mais le moteur vibrant est sans commune mesure avec le Taptic Engine de l’Apple Watch. Sur la Ionic, c’est juste un bzzz, il n’y a aucune variation ni « tap » sur le poignet. Cet aspect « brut de fonderie » nous ramène quelques années en arrière, surtout quand on s’est habitué aux fines oscillations de la montre d’Apple.
Le produit de Fitbit n’intègre ni haut-parleur ni micro, ce qui limite aussi les possibilités d’interaction (et pourquoi pas répondre à un appel depuis le poignet ?). À l’heure de la prolifération des assistants vocaux, le constructeur s’interdit à l’avenir de proposer le support d’Alexa ou de Google Assistant (ou d’un autre) depuis la Ionic, c’est bien dommage.
Cette frugalité dans les usages est aussi visible dans la personnalisation de la montre. La boutique Ionic accessible depuis l’application Fitbit propose 17 cadrans qui ont le mérite de l’originalité (ce ne sont ni des copies de cadrans watchOS ni des clones de montres classiques).
Bizarre toutefois qu’au vu du format rectangulaire de la montre, certains de ces cadrans soient ronds, mais l’Apple Watch a le même problème. La boutique d’applications se montre, elle, bien plus limitée ; en fait, elle ne propose rien de plus que ce qui est déjà installé sur la montre.
Le constructeur offre bien sûr aux développeurs de concevoir des applications par le biais du Fitbit Studio. Ces apps exploitant des technologies web répandues (JavaScript, CSS, SVG), on peut espérer que les premières créations ne tarderont pas.
La montre fait aussi office de lecteur musical, on peut y connecter des écouteurs Bluetooth, mais transférer des morceaux relève un peu du parcours du combattant. Tout passe en fait par… le Mac. Impossible d’installer des chansons depuis l’app Fitbit sur l’iPhone. Le mode d’emploi est un peu sioux, il faut autoriser iTunes à partager des listes de lecture avec un logiciel tiers, puis installer sur le Mac l’application Fitbit Connect. Et bien sûr, il convient d’être sur le même réseau Wi-Fi… Le constructeur livre le mode d’emploi à cette adresse.
La grande déception de la Ionic, c’est l’absence de Timeline. Cette fonction était l’un des atouts de Pebble OS : elle affichait les événements passés, présents et à venir inscrits dans des applications tierces. Un concept qui peut rappeler celui du cadran Siri de watchOS 4, mais que Fitbit n’a pas cru bon de reprendre. Et c’est bien malheureux car c’est aussi cela qui distinguait les montres Pebble de la concurrence.
Fitbit Pay
Si la Ionic n’a finalement pas grand-chose d’une montre connectée, il est au moins une fonction que Fitbit a su parfaitement mettre au point : le paiement mobile. On n’attendait pas forcément le constructeur dans ce domaine, mais Fitbit Pay fonctionne bien.
L’enregistrement de la carte bancaire passe par le Porte-monnaie (protégé par Touch ID) de l’application Fitbit. Il faut saisir à la main les différentes informations bancaires, l’app ne proposant pas de les numériser à même la carte comme dans le Wallet d’iOS.
Après vérification de la carte, celle-ci est ensuite disponible pour payer depuis les terminaux de paiement équipés de la fonction de paiement sans contact. Les règlements passent par l’application Wallet de Ionic ; il suffit d’approcher la montre du terminal puis de maintenir le bouton latéral de gauche : bim, c’est bon pour le paiement. Il n’est pas utile d’avoir l’iPhone à proximité pour valider un règlement.
Ce fonctionnement rappelle évidemment Apple Pay avec l’Apple Watch. Fitbit s’est inspiré de cette facilité d’usage, au plus grand bénéfice de l’utilisateur. Une fois la transaction autorisée, l’app Fitbit prévient d’une notification, puis l’opération apparait dans le panneau Fitbit Pay.
On regrettera que l’application ne propose pas l’intégralité de l’historique des transactions (uniquement les trois plus récentes). Fitbit Pay va également souffrir des mêmes maux qu’Apple Pay et des autres services de paiement mobile : il faut nouer des partenariats avec les banques locales.
À l’heure où ces lignes sont écrites, on ignore encore quels sont les partenaires de Fitbit Pay en France, mais quand on voit la liste des banques compatibles ailleurs dans le monde (Starling Bank au Royaume-Uni, Cornercard en Suisse…), on peut nourrir quelques interrogations sur l’engouement des établissements bancaires français pour cette nouvelle solution de paiement sans contact. Ils sont déjà assez réticents avec un acteur de poids comme Apple, alors Fitbit…
Toutefois, l’architecture est en place et si d’aventure la plateforme de paiement mobile de Fitbit devait décoller, il ne sera pas trop compliqué pour les banques d’y participer.
Un traqueur d’activité efficace
Heureusement, la Ionic n’est pas qu’une (faible) montre connectée. C’est aussi et surtout un traqueur d’activité ! Si Fitbit est toujours en phase d’apprentissage pour ce qui est des smartwatchs (et la marche est haute), le constructeur peut s’appuyer sur son expertise en matière de mesure de l’activité physique.
Et cela paie, la Ionic concentrant tout le nécessaire pour devenir un coach sportif efficace. D’abord au niveau des capteurs : la montre contient en effet un GPS, un altimètre et un cardiofréquencemètre, ainsi qu’un plus classique accéléromètre. L’appareil est également étanche jusqu’à 50 mètres, on peut l’emporter dans la piscine ou sous la douche.
La montre traque en tout temps l’activité physique. Que ce soit de la marche, une course, un tour à vélo, et même le sommeil. Pas besoin de lancer un exercice dans l’app Activité, la Ionic gère tout toute seule sans demander son reste. Ces exercices s’affichent comme tels dans l’application Fitbit, avec toutes les données mesurées.
C’est uniquement si on a besoin du GPS ou pour obtenir des mesures plus précises qu’il convient d’activer l’activité correspondante depuis la montre. La montre est censée activer automatiquement le GPS lorsqu’elle détecte que l’utilisateur est en mode « course », mais il faut bien penser à activer cette fonction dans les réglages. Une fois l’exercice terminé, l’application récupère les données et, le cas échéant, présente une petite carte de l’itinéraire.
La Ionic ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle se présente également comme un coach personnel, avec des exercices à consulter depuis l’appareil. Ces exercices évoluent en fonction des commentaires de l’utilisateur, mais je dois bien avouer n’avoir trouvé nulle part le moyen de modifier ces exercices ni de donner de commentaires sur leur nature.
Bien sûr, la Ionic propose de remplir l’objectif de 10 000 pas par jour, avec en sus une fonction Bouger plus consistant à marcher au moins 250 pas chaque heure. Depuis l’application Fitbit, on peut choisir de remplir un autre objectif (distance, calories brûlées, minutes actives, etc.).
Enfin, ce n’est pas spécifique à ce produit, mais Fitbit propose aussi des aventures et des défis en tout genre pour varier les plaisirs. Les Courses d’aventure par exemple permettent de crapahuter virtuellement et avec des amis sur des itinéraires prestigieux, comme une randonnée sur les montagnes du Yosemite (35 800 pas à réaliser par 2 à 30 sportifs) ou le marathon de New York (57 000 pas pour un groupe de 2 à 30 amis).
L’allié du sommeil
La Ionic permet également de suivre son sommeil. Une fonction qui nécessite bien sûr de porter la montre la nuit, mais il n’y a rien d’autre à faire : l’enregistrement est automatique. C’est au matin, après la synchronisation des données nocturnes avec l’application iOS, que cette fonction dévoile son intérêt.
Telles quelles, les informations recueillies par les capteurs durant la nuit ne disent rien de pertinent. C’est à l’application de donner un sens à ces informations, et Fitbit propose un tableau de bord simple et complet pour mieux comprendre son sommeil. On peut ainsi comparer la qualité de son sommeil avec les hommes ou les femmes de son âge, et obtenir toutes sortes d’explications et de précisions sur les différentes phases de sommeil.
Tout cela ne nous dit pas si on dort comme il faut, mais au moins on se réveille un peu moins bête.
Une autonomie record
L’autonomie, c’est sans conteste le point fort de Ionic. La promesse du constructeur est conséquente : la batterie de la montre est censée tenir 5 jours. Ce pari est réussi ! Notre modèle de test a effectivement tenu 5 jours et 5 nuits.
Certes, je n’ai pas spécialement forcé durant cette semaine. Quelques joggings ici et là (avec le GPS activé), beaucoup de notifications, quelques manipulations d’apps… Mais globalement, la Ionic parvient à tenir le choc et on oublie rapidement qu’il faut recharger la batterie de temps en temps ! Quand c’est le moment, l’application Fitbit prévient d’une notification (elle envoie aussi un e-mail).
Cette autonomie record fond beaucoup plus rapidement si on utilise le GPS. Le constructeur annonce alors 10 heures d’autonomie : je veux bien le croire, un running en extérieur d’une demi-heure, avec le GPS donc, a consommé 7% de la batterie.
Une telle endurance permet de porter la Ionic en tout temps, y compris la nuit ce qui est une nouveauté pour moi. Le seul regret finalement, c’est que Fitbit n’en profite pas pour afficher l’heure en continu sur l’écran de la montre : voilà au moins quelque chose qui aurait permis à la Ionic de faire la différence avec l’Apple Watch.
Pour conclure
Si Fitbit avait l’ambition d’imprimer sa marque sur le marché de la montre connectée, le constructeur a loupé le coche. La Ionic est très loin des champions du genre, qu’il s’agisse de l’Apple Watch, de la gamme Gear de Samsung, voire des montres Android Wear.
La Blaze, première tentative de montre de Fitbit — que le constructeur avait d’abord présenté comme un traqueur d’activité très évolué — présentait un design certes clivant, mais au moins le produit produisait une émotion, positive ou négative peu importe.
Rien de tout cela avec la Ionic, dont les formes taillées à la serpe n’évoquent rien. Plutôt dommage pour une montre pour laquelle on doit ressentir un minimum d’attachement, car après tout ce genre de produit a vocation à être porté en permanence au poignet. Plutôt râpé donc du côté montre connectée (l’aspect connecté se montrant également assez léger).
La Ionic se rattrape grâce à ses qualités de traqueur d’activité. Fitbit sait y faire, et ça se voit. Mais dans ce cas, pourquoi débourser 350 € alors qu’on peut se contenter d’un simple bracelet ? Le constructeur en a plusieurs au catalogue qui sont tout à fait efficaces pour suivre ses efforts physiques.
Le plus grand regret finalement qu’on nourrit avec la Ionic, c’est l’absence de l’héritage de Pebble. À croire que Fitbit s’est contenté de faire table rase du passé glorieux du pionnier de la montre connectée. Et ça, c’est franchement dommage…