L'arrivée de l'Apple Watch a été un événement « fantastique » pour Swatch, a déclaré son patron dans une interview à CNBC. Nick Hayek voit dans cette montre venue de Californie l'opportunité de vendre plus de modèles traditionnels :
Personne n'achète une Apple Watch pour la garder tout le temps au poignet. Vous la changez. Si vous faites du sport ou si vous voyagez, vous en changez. Et c'est la meilleure chose qui puisse arriver. Le pire, ce sont les gens qui ne portent rien au poignet
L'intérêt avec ce genre de produit que l'on porte sur soi, poursuit Hayek, est qu'inévitablement on finit par avoir envie d'en porter un autre, en fonction du contexte ou de son activité. Il rappelle à ce sujet l'origine du nom "Swatch" qui peut se comprendre comme la contraction de "Swiss Watch" mais aussi comme "Second Watch" : « parce que vous ne possédez pas qu'une seule montre ». La Swatch était la petite montre que l'on pouvait porter sans manière, pour avoir un peu autre chose au poignet que sa montre habituelle.
Un comportement, un goût pour la nouveauté et le changement qui sont synonymes de consommation et qui font forcément les affaires des fabricants : « Le marché ne cesse de grossir. Et il y a de la place pour Apple, il y a de la place pour les autres et bien sûr il y a largement de quoi faire pour nous ».
Jean-Claude Biver, autre grande figure du milieu horloger, voyait récemment aussi dans l'arrivée d'Apple et de Samsung la promesse d'opportunités et notamment auprès d'une jeune clientèle : « Imaginez une génération qui ne porterait aucune montre. Ce serait beaucoup plus difficile pour nous de leur vendre quelque chose ». Alors qu'Apple et consorts, qui sont bien plus connus par cette clientèle, peuvent commencer son éducation au travers de leurs montres électroniques.
Autant Biver qualifie volontiers l'Apple Watch de montre — logique pour quelqu'un qui a promu avec énergie des modèles Google Wear dans le catalogue de TAG Heuer — autant Hayek distingue toujours les deux univers : « C'est du produit électronique. N'allez jamais dans l'électronique grand public si vous parlez d'une montre ».
Il n'y a aucun argent à gagner dans le domaine occupé par les fabricants de montres intelligentes ou de bracelets de fitness, assure-t-il :
Ils ont besoin de faire des volumes énormes pour gagner un ou deux pour cent de bénéfices, parce qu'un produit électronique grand public est déjà fini après six mois ou 12 mois. Vous aurez besoin du logiciel suivant, vous avez besoin de la prochaine mise à jour. Et c'est là que vous entrez dans un cycle de [renouvellement d'une] marchandise.
Les investissements nécessaires sont élevés et le cycle de vie des produits très court, dit-il : « Il faut amortir des centaines de millions en à peine un an. Pourquoi croyez-vous que Swatch Group produit en Suisse ? Pourquoi ces grandes et riches entreprises produisent-elles en Chine ? Parce qu'elles doivent amortir la production en un an et vendre tout leur stock ici ».
Qu'Hayek sépare les deux sortes de montres n'a rien de surprenant, quand bien même il a timidement fait évoluer quelques modèles de sa gamme avec les Bellamy à puces NFC, mais sa déclaration autour de l'utilisation d'une montre illustre la différence radicale d'approche entre Apple et lui.
Pour Swatch, changer de montre doit être une seconde nature, c'est un style de vie. Son catalogue abonde en modèles de toutes sortes, dans toutes les coloris, des plus sobres au plus farfelus, avec des prix abordables.
Chez Apple, rien n'empêche de changer de montre puisque que l'application Watch sur l'iPhone sait basculer entre deux et se synchroniser automatiquement. Mais la personnalisation de l'Apple Watch est promue via les (quelques) cadrans et surtout les bracelets (qui ont comme autre intérêt de continuer à faire dépenser les gens déjà munis d'une montre).
Car l'important est d'avoir constamment son Apple Watch sur soi : absolument toujours. Tout le discours autour de la santé, les incitations quotidiennes à se bouger, se lever ou faire une pause pour souffler, les encouragements à vite remplir ses anneaux avant la fin de la journée, les trophées à décrocher au fil de challenges réguliers… tout cela pousse l'utilisateur à ne surtout pas détacher sa montre (et l'on ne parle même pas des notifications, d'Apple Pay ou du déverrouillage de son Mac via la montre, dans un registre plus anecdotique).
Pour qui est à fond dans les anneaux, il est rigoureusement hors de question de détacher sa montre, au risque de saboter sa moyenne. En devenant étanche puis capable d'une connexion cellulaire l'Apple Watch a renforcé encore les effets de cette addiction. Si demain Apple la dote d'une fonction de suivi du sommeil ou de fonctions santé plus élaborées encore, cette dépendance n'en sortira que renforcée chez les plus zélés de ses utilisateurs, qui n'auront aucune raison de mettre une montre différente, même pour le plaisir.