Le 9 septembre 2014, Tim Cook leva les bras au ciel, dévoilant à son poignet un tout nouveau produit : l'Apple Watch. Il a ensuite fallu attendre de longs mois avant de voir l'appareil fleurir sur les poignets, puisque la commercialisation à proprement parler a débuté le 24 avril de l'année suivante.
Immanquablement, le lancement d'un nouvel appareil Apple entraîne avec lui tout un écosystème d'accessoires. Pour la montre connectée, les fabricants ont dû se creuser un peu la tête, l'Apple Watch étant elle-même… un accessoire de l'iPhone. Trois ans après la mise en rayon des premières collections de la montre, nous avons voulu faire le point sur le marché des accessoires pour l'appareil.
Au début, il y avait l'Apple Watch
Des accessoires pour un accessoire ? L'idée parait saugrenue à première vue, mais Apple a immédiatement montré le chemin : l'Apple Watch ne serait pas grand-chose sans son galet de recharge autour duquel on peut déjà imaginer pas mal de produits, et puis il y a ce système de bracelets interchangeables, aussi élégant qu'efficace.
L'idée de commercialiser des bracelets n'est pourtant pas venue immédiatement à l'esprit d'Amaury Hubault, cofondateur de Band-Band : « Nous étions partis sur l’idée de l’échange de bracelets (d’où Band-Band, un bracelet contre un bracelet) », puisqu'il se disait avant la commercialisation qu'Apple glisserait deux bracelets avec chaque Apple Watch Sport.
Finalement, il n'en a rien été : « Apple a décidé de ne fournir qu’un seul bracelet et demi au lieu de deux comme c’était la rumeur à l’époque, et la montre étant un objet très personnel, au contact permanent de la peau, les bracelets ne se sont pas échangés ni revendus ». Band-Band s'est alors rabattu sur la vente de bracelets sous sa marque.
Aucun retard à l'allumage pour Meridio, qui s'est lancé bille en tête avec des bracelets dès la présentation de la montre. « Dès le départ, nous avons cru au succès du marché de l'Apple Watch, à qui nous voulions donner une touche de style italien avec nos accessoires 100% Made in Italy », explique Luigi Céleste, directeur général de l'entreprise.
Pas d'hésitation non plus pour le créateur de bijoux Bucardo : « Nous avons immédiatement pensé aux opportunités de personnaliser [l'Apple Watch] et nous avons commencé à créer différents accessoires, dès l'annonce », raconte Jonas Lee, le patron du fabricant. « Nous n'avons pas attendu le lancement à proprement parler ». Un véritable vote de confiance !
Padawanlab a un parcours plus singulier, puisque la start-up a débuté comme studio de développement d'applications, avant de se lancer dans le marché des accessoires avec le socle Totm+Travl. « Dès la présentation de l'Apple Watch, nous avons vu un potentiel intéressant », explique Aymeric Proux, « mais plutôt dans le développement d'apps » avec NetWatch puis Watchatmo.
Et c'est là que les problèmes ont commencé
Une fois l'idée trouvée, il faut encore la développer. Et c'est là que les difficultés débutent, Apple ayant sa façon bien à elle de faire les choses. Il en va de l'Apple Watch comme des autres produits du constructeur, comme le confirme Aymeric : « La vraie difficulté vient d'Apple, avec sa manie de faire "comme les autres" mais un peu différemment ». Il liste notamment les profils Bluetooth spécifiques, les accès à des données — comme le niveau de batterie de la montre — impossible…
Pour son socle Totm, Padawanlab s'est ainsi heurté à un souci plutôt embêtant au vu de la nature du produit : « Il nous était par exemple TOTALEMENT impossible de rendre Totm "Made for iPhone" simplement parce que la Watch y repose à la verticale ! ». Sans parler du coût prohibitif des composants spécifiques, pour le galet de recharge ou le port Lightning. « Des choses simples deviennent complexes avec Apple », regrette Aymeric, « il faut se creuser la tête pour trouver des solutions de contournement (…) ou abandonner des fonctionnalités ».
Pas facile effectivement de travailler autour d'un produit où votre principal partenaire est aussi votre concurrent le plus redoutable. Jonas relate cette difficulté : « Le défi le plus important dans la création d'accessoires pour l'Apple Watch, c'est de tenir compte des petits changements apportés par Apple à son produit. Le consommateur ne va peut-être pas le remarquer, mais il existe de très légères variations dans la taille des Apple Watch, ce qui a un impact sur nos accessoires ».
Amaury relève un autre problème qui est plus régional. Pour ses bracelets, Band-Band a pris beaucoup de temps pour trouver des partenaires français. « Cela nous a pris plusieurs mois et un peu de chance pour trouver un premier partenaire, qui utilise des peaux du pays Basque, avec couture et assemblage en France », explique-t-il. Il a fallu ensuite trouver des adaptateurs de toutes les couleurs : « À part l’acier inoxydable brillant, ce fut compliqué d’avoir les bonnes couleurs, nous venons à peine d’y arriver pour toutes les couleurs comme les variantes or et rose ».
« Toute difficulté se révèle être une opportunité », comme le dit Belkin, philosophe. « Nous commençons toujours le développement d'un produit par une évaluation de son intérêt pour les consommateurs, nous regardons aussi la concurrence et nous établissons les standards que nous voulons atteindre ».
Le célèbre constructeur dispose de toutes les ressources nécessaires pour concevoir ses accessoires en interne, « du design à l'ingénierie et jusqu'au prototypage, et même dans une certaine mesure la production dans notre centre de l'innovation de Changzhou ».
Plus globalement, relève Luigi, il faut se montrer compétitif face à un acteur aussi important qu'Apple, et être crédible aux yeux des fans.
Comment accessoiriser un accessoire ?
Les fabricants qui gravitent autour de l'Apple Watch font face à une problématique qui ne se pose pas avec l'iPhone ou l'iPad : les utilisateurs de la montre ne sont pas nécessairement enclins à accessoiriser leur Apple Watch. L'éventail des possibles est limité, comme l'explique Amaury : « paradoxalement, sur le plan fonctionnel, l'Apple Watch permet d'en faire… moins ! ».
La montre n'a pas besoin de stabilisateur pour filmer, ni de coque avec batterie intégrée, ni d'objectifs photo spécifiques, on ne peut pas imprimer avec et contrôler un drone n'est pas évident. Il faut alors se montrer malin pour combler les besoins, que l'on peut ranger dans trois grandes catégories : embellir (bracelets, bijoux), recharger (socles, batteries), protéger (« coques », verre trempé).
Le constat est partagé par Belkin : « Tous les appareils ont besoin d'accessoires qui aident le consommateur à en tirer le meilleur profit. Les utilisateurs d'Apple Watch veulent recharger, protéger et connecter [leur montre] et être les plus productifs avec leurs appareils ».
La personnalisation, c'est la grande affaire de Bucardo et de ses bijoux pour l'Apple Watch : « de plus en plus d'utilisateurs cherchent des manières de personnaliser l'appareil. L'Apple Watch en est encore à ses débuts, mais nous sommes optimistes pour l'avenir, la montre commençant à devenir vraiment grand public ».
« L’éventail de produits possibles est restreint et ça oblige à plus de créativité sur les formes et matières, c’est là qu’est le défi », ajoute Amaury. Vendre des accessoires pour Apple Watch, c'est difficile, rejoint Luigi. « C'est une niche et les prix sont plus élevés que chez des concurrents chinois, ce qui n'aide pas à garantir une croissance importante sur le marché grand public ».
La solution, c'est d'aller sur le haut de gamme, générateur de marges et qui permet aux fabricants de mettre en valeur leur plus-value. C'est le cas pour le Totm, pour lequel le bois et le « made in France » sont mis en avant. L'Apple Watch est perçue, en majorité, comme un bijou ou un accessoire de mode pour ses utilisateurs, raconte Aymeric. « L'achat d'accessoires est plus lié au plaisir, au design, à la qualité qu'au côté pratique », même si ce dernier n'est pas à négliger bien sûr.
Sur le marché de l'accessoire pour Apple Watch, il est possible de se faire une place à l'ombre d'Apple, ajoute Amaury : « Apple vend ses accessoires très chers, donc c’est facile d’être rentable et de proposer moins cher en proposant une alternative de qualité ». Par ailleurs, il est relativement simple de créer de la valeur autour de ces produits, qui sont faciles à stocker (la batterie est souvent le seul composant électronique d'un accessoire pour Apple Watch, le cas échéant) et le coût du SAV est limité.
Derrière l'accessoire, une vraie activité et des emplois
Suer sang et eau pour trouver l'idée qui va bien, développer le produit en obéissant aux règles d'Apple, le faire fabriquer et le distribuer, c'est déjà tout un exploit. Les constructeurs ne font évidemment pas cela uniquement pour l'amour de l'art : à un moment donné, tout cet investissement et ce temps passé doivent être récompensés.
« Le but est de construire une activité pérenne », confirme Amaury, « d’abord pour notre équipe, mais aussi pour nos fournisseurs dont certains produisent en France, ce qui est très important pour nous ». L'avenir est à cet égard prometteur, Band-Band sentant que le volume des ventes d'Apple Watch va croissant.
Moins optimiste, mais aussi très réaliste, Luigi estime lui que le grand gagnant dans tout cela, c'est bien sûr Apple. Le marché des accessoires peut être rentable à l'avenir, mais « nous pensons que les meilleurs volumes de ventes seront réalisés par Apple ».
Difficile de s'avancer pour Padawanlab, étant donné que le Totm en est à ses tout débuts (la distribution va débuter dans les prochains jours) : « nous sommes assez satisfaits de l'accueil fait à Totm+Travl sur Kickstarter avec plus de 500 précommandes et une communauté bienveillante qui échange beaucoup avec nous ». Le Travl, seconde moitié de ce socle très polyvalent, est lui toujours en développement et devrait arriver avant l'été.
L'ouverture contrôlée d'Apple
L'écosystème des accessoires tient à la bonne volonté d'Apple d'ouvrir l'Apple Watch. Comme on l'a vu, les difficultés sont nombreuses et il faut déployer des trésors d'ingéniosité pour finalement se lancer sur ce marché. Aymeric voudrait ainsi que le constructeur cesse de « mettre des bâtons dans les roues des développeurs, aussi bien pour le logiciel que pour le matériel ».
L'une des solutions selon lui serait de « faire évoluer et ouvrir plus largement watchOS (…) il serait temps après quatre versions d'ouvrir les vannes », estime-t-il en prenant comme exemple HomeKit. « Pourquoi ne pas couper le fil à la patte de l'Apple Watch [d'avec l'iPhone] et lui permettre de contrôler nativement des accessoires en Bluetooth, Wi-Fi, NFC… ? ».
Amaury de Band-Band salue déjà l'ingéniosité du système de bracelets imaginé par Apple, qui a contribué à créer un « vrai écosystème » : « Ils ont réussi à l’instar de l’iPhone à créer un produit à la fois incroyablement standard tout en étant très personnalisable ».
Il y a toutefois des marges d'amélioration, en particulier pour les chargeurs et les adaptateurs des bracelets [les attaches], estime-t-il. « À quelques exceptions près, il n’y a pas de salut en dehors du chargeur de base » : il faut soit acheter un galet auprès d'Apple, soit « condamner » celui fourni avec l'Apple Watch pour pouvoir utiliser un chargeur tiers.
« Apple ne propose que des adaptateurs en acier inoxydable à la vente », illustre-t-il. Band-Band a dû remiser un projet de collection Made for iPhone avec des adaptateurs officiels Apple, toutes les couleurs n'étant pas disponibles.
Jonas Lee a trouvé la conclusion qui conviendra aussi à ses concurrents : « Nous pensons que notre rôle est de combler les trous et de proposer des solutions créatives à nos clients. Nous sommes une entreprise "lifestyle", et notre but est de faire de l'Apple Watch un produit plus simple à porter et à utiliser, et qui fasse plaisir à ses utilisateurs ».