C’est le secret le moins bien gardé de tout Cupertino : l’Apple Watch n’est pas réellement une montre. Ou alors, c’est une montre qui n’en est pas réellement une puisqu’il faut faire un effort pour y lire l’heure.
Après tout, obtenir l’heure, c’est la fonction principale d’une montre. Apple vante une précision à « 50 millisecondes près » et on veut bien croire que le constructeur soit sérieux sur ce point. Mais même après des milliers de coups de poignets, je trouve toujours que l’Apple Watch manque de réactivité pour éveiller son écran.
Certes, on peut toujours tapoter sur l’écran ou appuyer sur la couronne digitale pour obtenir l’heure, mais il faut alors y mettre les deux mains — une qui porte la montre, la seconde qui s’en occupe. On perd alors beaucoup de cette instantanéité qui est le principe de toutes les montres traditionnelles.
Pour en rester au seul rayon des montres connectées, la plupart des produits Android Wear ainsi que la Pebble, conservent l’affichage de l’heure en tout temps. Y compris lorsque le porteur ne regarde pas son poignet. Les technologies choisies pour les écrans (généralement de type OLED) ainsi que les optimisations réalisées par Google permettent aux montres sous Android Wear de conserver une autonomie satisfaisante tout en affichant constamment l’heure… même si la présentation du cadran est moins lumineuse ou moins colorée que lors du réveil complet de la montre.
Mais sur l’Apple Watch, obtenir l’heure, ça doit se mériter.
Ce qui est bien
Si l’Apple Watch n’est pas vraiment une montre, quelle est donc la fonction de produit ? Et d’abord, c’est quoi ce produit ? Au vu du site web consacré par Apple à l’appareil, il n’est pas sûr que le constructeur le sache réellement. Les deux présentations de l’Apple Watch, en septembre 2014 puis en mars 2015, ne nous ont pas réellement aidés. Ni Tim Cook, ni personne d’autre au sein de la direction d’Apple ne sont parvenus à nous expliquer la raison d’être de l’Apple Watch.
Le soin dans les détails
Il faut donc partir à la pêche pour trier le bon grain de l’ivraie. Si l’Apple Watch a une qualité et une seule, c’est qu’elle prouve, si besoin était, que la Pomme maîtrise toujours aussi bien les matériaux : qu’il s’agisse des différentes collections d’Apple Watch ou de leurs bracelets, Apple démontre une fois de plus qu’elle n’a rien à envier aux meilleures maisons du luxe ou de l'artisanat.
Jack Forster, rédacteur en chef du site Hodinkee spécialisé dans les belles montres, n’a pas de compliments suffisamment forts pour chanter les louanges du bracelet à maillons et de son système de verrouillage très astucieux. S’il avait été fabriqué en Suisse, « il aurait probablement ajouté 4 chiffres au prix de la montre qui en aurait été équipée ». On relativise dès lors le prix auquel ce produit est vendu par Apple (à partir de 499 €).
Mais tous les bracelets ont bénéficié d’un grand soin. Y compris les modèles Sport en fluoroélastomère. « Aucun n'a été traité avec moins d'attention et de soin pendant sa conception et sa fabrication », a tenu à assurer Jony Ive alors en pleine promotion de la collection Hermès.
Après avoir testé quelques clones vendus à vils prix et leurs modèles originaux, il est clair qu’Apple ne s’est pas moquée du monde, même si tout n’est pas parfait : le modèle en cuir (celui avec les boudins magnétiques) est astucieux mais la quantité de cuir est aussi maigre que sur les étuis du constructeur pour iPhone. L’emblématique milanais se détendant fréquemment au cours de la journée (l'aimant glisse) il faut souvent le replacer au poignet pour qu’il ne glisse pas complètement.
Cette première génération d’Apple Watch s’incarne au travers de trois collections (quatre si on compte les modèles Hermès) dont la principale différence est le matériau utilisé. Aluminium anodisé pour l’Apple Watch Sport, acier inoxydable pour l’Apple Watch tout court, et de l’or 18 carats pour l’Edition. Si on met de côté cette dernière vraiment trop exclusive, on ne peut que reconnaitre la pertinence des choix d’Apple pour les deux premières collections. Les matériaux sont premium et, assortis avec un bracelet de goût, il est tout à fait imaginable de porter une Apple Watch en tout temps, sans passer pour le geek de service.
Ce soin apporté aux détails, une caractéristique typique des produits d’Apple — du moins pour ce qui concerne la fabrication de l’appareil en lui-même — se retrouve aussi par petites touches au sein du logiciel. C’est le cas des splendides cadrans Mouvement (les papillons et les méduses patiemment filmées) et Astronomie qui fourmillent d’animations en tout genre.
Malgré ces dix mois à mon poignet, mon Apple Watch arrive encore à me surprendre avec un petit détail que je n’avais jamais remarqué (encore récemment, de nouveaux papillons qui étaient complètement passés sous le radar).
Une autonomie qui tient la route
Certes, on peut toujours en vouloir plus. Mais la petite batterie de l’Apple Watch lui permet de tenir pratiquement une journée de 24 heures, si on n’a pas été trop exigeant évidemment. Après un solide jogging et une heure en salle, un usage intensif de Plans et quelques jeux, je ne vous promets pas que l’Apple Watch tiendra aussi longtemps évidemment.
Mais la crainte de devoir recharger la montre deux fois par jour, comme cela peut arriver avec un iPhone 6, n’existe pas avec l’Apple Watch.
Le physique de l’emploi
Autre bon point, les capacités de mesure de l’activité physique. Apple a réalisé un bon travail sur ce plan, grâce à des capteurs performants (notamment le cardiofréquencemètre) et le concept des cercles à remplir. Il est parfois difficile de les compléter parfaitement (en particulier celui lié au lever à chaque heure), mais c’est une vraie satisfaction de voir, en fin de journée, tous les objectifs remplis.
La connexion avec l’application Activité permet d’en savoir plus sur ses efforts et malgré un aspect parfois "tableur", la consultation de ces données reste agréable. Dommage que le logiciel ne sache pas piocher dans la base de données de HealthKit pour compléter certaines informations, ce qui n’en fait pas un très bon citoyen de l’écosystème iOS (à ce sujet, voir aussi HeartWatch analyse les mesures cardiaques de l’Apple Watch).
D’autres fonctions sont elles aussi bien pensées et servent vraiment au quotidien : le fonctionnement transparent avec Plans sur iPhone pour les itinéraires, la télécommande musicale et celle de l’Apple TV. Et les notifications qui arrivent au poignet sont bien pratiques lorsqu'on a les mains occupées par ailleurs, que l'iPhone est loin ou enfoncé dans une poche.
Pas de doute, l’Apple Watch est bien un produit sur lequel Apple a sué sang et eau… pour certaines choses. Car il reste encore beaucoup de travail.
Ce qui est moins bien
L’Apple Watch est une somme de petites contrariétés qui, additionnées, finissent par porter sérieusement sur le système.
Complications compliquées
C’est le cas par exemple des complications : ces petits widgets (dont le nom s’inspire du monde de l’horlogerie traditionnelle) s’installent sur les cadrans et fournissent une information immédiate. C’est une bonne idée et c’est efficace pour connaître l’heure dans un autre pays, jeter un œil sur la température ou connaître l’heure de son prochain rendez-vous.
Les développeurs peuvent également concevoir leurs propres complications. Tout cela est bel et bon, mais pourquoi diable tous les cadrans ne sont-ils pas concernés par ces widgets ? On aimerait qu’il soit au moins possible d’ajouter une complication dans le cadran des papillons, ou sur ceux affichant une photo en fond !
Idem pour le monogramme, ces deux lettres (les initiales, souvent) que l’on ne peut intégrer que dans le cadran Couleur… qui n’est pas d’ailleurs pas le plus réussi du lot. Comme à son habitude, Apple a décidé de choisir pour l'utilisateur et brider les possibilités d'utilisation de ces complications en fonction des cadrans. Elles restent cependant une bonne idée mais mal ou sous-exploitée.
Force Touch, sans forcer
On peut en dire autant de Force Touch. L’écran de l’Apple Watch a été le premier du genre à être sensible à la pression (les trackpads des MacBook et les iPhone 6s ont suivi), ajoutant une couche d’interaction sur un produit qui n’en manquait déjà pas, entre la couronne digitale, son bouton, le second bouton Digital Touch, et le tactile multipoints de l’écran. Ouf !
Toutes ces possibilités contribuent à la complexité de l’interface de l’Apple Watch, ce qui n’est pas forcément un bon point lorsqu'on parle d’une montre connectée ; si Force Touch demeure une bonne idée sur le papier, elle est mal fagotée. watchOS n’indique jamais quand il est possible d’appuyer fort sur l’écran. Il faut sans cesse tenter le coup et avec un peu de chance, on découvre parfois de nouvelles options qui peuvent changer beaucoup de choses : la lecture aléatoire dans l’app Musique n’est ainsi disponible qu’après un appui Force Touch.
La fonction peut avoir son intérêt, mais Apple n’a pas l’air de vouloir faire trop d’efforts pour en démontrer les bienfaits (c’est malheureusement aussi le cas pour 3D Touch sur iPhone et Force Touch sur les trackpads). Et la méthode empirique n’est pas ce qu’on attend d’Apple.
Des objectifs plus ou moins réalistes
Dans le paragraphe précédent, j’ai tressé des lauriers au suivi de l’activité physique de l’Apple Watch et à l’app Activité. Mais tout n’est pas parfaitement bien pensé, comme la fonction qui réclame de se lever toutes les heures : pourquoi diable continuer de l’exiger lorsqu’on est dans l’impossibilité physique de le faire ? C’est le cas en voiture par exemple, ou dans un avion : la montre, pourtant connectée en permanence à l’iPhone, devrait savoir quand je suis en train de bouger rapidement, grâce au GPS du smartphone. Heureusement, on peut toujours désactiver ce type d’alertes durant 24 heures.
L’objectif hebdomadaire fixant la perte de calories est devenu un rendez-vous incontournable du lundi matin : je regarde toujours avec un œil gourmand le résultat de mes efforts de la semaine passée. Comme dans un film à suspense, je déroule la notification pour connaître le nouvel objectif de calories à brûler chaque jour et… je suis toujours déçu de voir que c’est le même chaque semaine.
S’il arrive en effet qu’un jour de la semaine on ne soit pas parvenu à atteindre l’objectif journalier, celui de la semaine ne bougera pas. Même si on double le nombre de calories les autres jours : non, l’objectif calculé par l’Apple Watch ne changera pas d’un iota à cause de ce loupé. On peut évidemment le changer à la main, mais c’est une petite frustration.
Parle à ma montre
Siri sur Apple Watch ressemble à une histoire d’amour/haine, plus encore que sur iPhone. La fonction pourrait être tellement utile si, deux fois sur trois, la montre ne renvoyait pas sur l’iPhone… Siri peut se montrer très complet pour certaines requêtes (avez-vous essayé de demander quelque chose en lien avec le cinéma ?), mais tellement frustrant pour d’autres.
La dictée vocale pour répondre rapidement à un message texte depuis l’Apple Watch serait plus efficace si Siri laissait la possibilité de le reprendre. La solution du tout ou rien (annuler tout le message ou accepter tout le message) n’est pas satisfaisante.
De plus, et c’est assez rédhibitoire sur l'Apple Watch, Siri n’est pas la fonction la plus réactive. On comprend mieux pourquoi l’assistant vocal n’est pas la fonction la plus utilisée par les possesseurs de la montre.
Ce qui n’est vraiment pas bien
La poudre de perlimpinpin des premiers instants avec l’Apple Watch a disparu depuis très longtemps. Apple s’est montrée plutôt réactive en proposant assez rapidement une mise à jour 2.0 pour watchOS, mais elle ne règle pas tout.
Les apps tierces prennent leur temps
Les développeurs ont gagné la possibilité de créer des apps natives ainsi que des complications, mais le problème fondamental de l’Apple Watch dans ce domaine, c’est la lenteur avec laquelle la montre ouvre des applications.
Cette mollesse est frustrante au possible, alors que ces apps devraient justement fournir une information le plus rapidement possible. Comment se fait-il que iTranslate ou Transit , pour n'en citer que deux, soient aussi lents durant leur lancement ? Et la faute n’en revient pas aux développeurs.
En bout de course, j’ai abandonné l’idée d’utiliser une application tierce sur l’Apple Watch, je préfère dégainer l’iPhone où cette même app sera à la fois plus complète et infiniment plus rapide (surtout si elle peut s'afficher sur l'écran Aujourd'hui). Les développeurs eux mêmes ne font pas particulièrement d’efforts pour plancher sur des versions « montre » de leurs logiciels : non seulement watchOS ne leur facilite pas la tâche, mais encore ils en ignorent la taille du marché (Apple refusant de dire combien de Watch se sont vendues).
Un train de retard pour les cadrans
Autre point sur lequel Apple a également sa part de responsabilité : la pauvreté des cadrans. Au lancement de l’Apple Watch, on avait pu se sentir submergé par leur nombre et les possibilités de personnalisation. Mais on en fait vite le tour, ce d’autant que certains sont franchement sans grande originalité (Couleur, Extra Large) tandis que d’autres le sont un peu trop (Solaire, Accéléré…).
La collection Hermès a ajouté trois jolis cadrans, qui sont malheureusement exclusifs aux montres de cette série. Et pour les autres ? Il faut se contenter du même brouet (watchOS 2.0 a tout de même apporté des cadrans avec des photos… qui avaient été présentés dès septembre 2014). On peut à la limite comprendre pourquoi Apple ne veut pas laisser les développeurs créer leurs propres cadrans, ne serait que pour éviter les contrefaçons de ceux de grandes marques qui ne manqueront pas de pulluler. Mais qu’au moins, la Pomme en propose régulièrement de nouveaux pour rompre la monotonie !
J’en suis à utiliser Mickey Mouse de temps en temps pour être encore un peu surpris lorsque je regarde l’heure (à quand Minnie, d’ailleurs ?).
Notifications sans gêne
S’il y a une chose qui me met les nerfs en pelote, c’est bien l’apparition d’une notification lorsque je fais quelque chose sur mon Apple Watch. En train de répondre à un message, de consulter un courriel, de personnaliser un cadran ? Boum, une notification vient tout interrompre, comme sur l’iPhone avant l’apparition des alertes en haut de l’écran.
Ça n’a l’air de rien, mais quand cela arrive souvent, ça finit par devenir très pesant, surtout lorsqu'il s’agit d’un e-mail sans intérêt que l’on peut tout à fait traiter plus tard.
Des photos pas pressées
L’Apple Watch a un très bel écran sur lequel il est agréable de regarder quelques photos. Ce n’est sans doute pas la meilleure des visionneuses étant donné sa petite taille, mais pour montrer sur le pouce la photo de son chat ou du petit dernier, c’est bien suffisant.
La gestion des photos sur l’Apple Watch est malheureusement très basique. Passe encore qu’on n’ait pas sous le doigt d’outils d’édition, mais on pourrait apprécier la possibilité de créer des albums, de supprimer des images, ou tout simplement de réarranger la grille.
La gestion des photos de l’Apple Watch depuis l’iPhone n’est pas non plus des plus simples. Le panneau de partage devrait proposer une option pour transmettre une image à l’Apple Watch depuis Safari ou une app tierce, par exemple. Cela éviterait de devoir enregistrer la photo dans la galerie de l’iPhone, de la marquer en favori (si c’est l’album Favori qui se synchronise avec la montre), puis d’attendre le bon vouloir de la synchro entre le smartphone et l’Apple Watch.
Digital Touch ne touche pas grand monde
La possibilité d’envoyer des dessins, des « tapotements » ou les battements de son cœur à un proche (qui possède lui aussi une Apple Watch) est amusante. Cinq minutes. Au début. Mais ensuite ? Les fonctions Digital Touch partent sans aucun doute d’un bon sentiment, et elles fonctionnent bien. Mais l’intérêt s’étiole vite : la communication avec le proche tourne vite en rond (avez-vous essayé d’écrire un mot avec l’outil de dessin ?).
Apple mise pourtant beaucoup sur Digital Touch, au point même d’avoir ajouté un second bouton physique sur la montre, qui déclenche l’apparition de la « roue » de ses contacts. Cela semble surdimensionné alors qu’un simple Coup d’œil suffirait. On soupçonne Apple de conserver ce bouton de côté pour faciliter les paiements Apple Pay : dans les pays où le service est disponible, il suffit d'appuyer deux fois dessus pour régler à la caisse du magasin. Pratique, sauf là où Apple Pay n’est pas présent évidemment (bientôt en France ?).
Pile à l’heure ou presque
Mais finalement, le plus gros reproche que je peux faire à l’Apple Watch, c’est de n’avoir pas su se rendre indispensable. Il m’est arrivé une fois ou deux de l’oublier à la maison… et d’avoir la flemme de remonter chez moi pour la récupérer. Cela n’arriverait jamais avec mon iPhone, qui me suit tout le temps.
Ce ne sont pourtant pas les fonctionnalités qui manquent à l’Apple Watch, mais aucune d’entre elles ne se révèlent suffisamment importantes pour que la montre fasse partie de ma routine au quotidien. Même pas pour avoir l’heure !
La prochaine génération d’Apple Watch et les révisions de watchOS changeront peut-être le regard que l’on porte sur ce produit. En coupant un peu plus le cordon avec l’iPhone, en améliorant ses performances, en gommant ses derniers défauts de jeunesse, peut-être que cet ordinateur de poignet trouvera finalement sa voie et s’imposera définitivement à mon bras. Pour le moment, cela reste un accessoire parfois brillant, parfois énervant, souvent frustrant.