« Pour les gens qui aiment les montres mécaniques, l’Apple Watch est à la fois sans importance et importante et l’horlogerie de luxe ne devrait pas la sous-estimer », écrit Jack Forster, rédacteur en chef du site spécialisé en belles montres, Hodinkee.
Foster a une longue expérience de l’univers des montres classiques, il est également l’auteur d’un ouvrage sur les réalisations en la matière de Cartier. Alors que l’Apple Watch va fêter sa première année en avril prochain, il dresse son premier bilan d’un mois d’utilisation. Une appréciation du produit d’Apple — sur une courte durée — que l'on peut confronter à celle publiée à peu près en même temps par Marco Arment, développeur du logiciel de podcasts Overcast et propriétaire de la sienne depuis sa commercialisation. Pour l'un l'Apple Watch a d'indéniables qualités pour intéresser des amateurs de belles mécaniques, pour l'autre elle lui a justement donné envie de porter une montre classique
Les observations de Forster portent moins sur son utilisation au jour le jour que sur le produit en lui-même et sa qualité de fabrication. L’attention portée aux détails, depuis le packaging en passant par le jumelage Bluetooth — rendu « fun » — jusqu’aux bracelets, celui à maillons en particulier.
« Il s’agit probablement du meilleur design de bracelet que j’ai jamais vu sur n’importe quelle montre. » Suit une description de son mécanisme à boucle déployante et de la conception des maillons que l’utilisateur peut changer lui-même sans difficulté et sans risque pour l’ajuster à son poignet.
Le fait que le système de verrouillage soit intégré à chaque maillon, plutôt que de s'appuyer sur un mécanisme coulissant dans la boucle, permet à tout le bracelet de rester très plat, très souple et confortable. C'est conçu d'une manière extraordinairement intelligente et l'industrie de la montre devrait vraiment s'en inquiéter, et pourtant, je n'ai quasiment rien lu à ce sujet, que ce soit dans les médias spécialisés ou ailleurs.
Foster enfonce le clou à propos de ce bracelet qui n’est qu’un élément de l’Apple Watch mais pour lequel Apple a déployé une ingéniosité inattendue : « Si ce bracelet avait été dessiné en Suisse, il aurait probablement ajouté 4 chiffres au prix de la montre qui en aurait été équipée, et je ne suis pas sûr qu’il y ait une marque en Suisse avec l’imagination nécessaire pour concevoir aujourd’hui quelque chose comme ça. Ce n’est que l’une des parties de l’Apple Watch la plus chère — modèles Edition en or exceptés — et la montre coûte 1 099 $ au total ».
Cela ne veut pas dire que l’Apple Watch est excellente en tout, Forster est par exemple plus réservé sur l’interaction Force Touch dont on ne sait jamais si elle est utilisable ou non à l’endroit où l’on se trouve dans l’interface.
C’est précisément sur le logiciel de l’Apple Watch que Marco Arment dirige ses flèches. Il se plaint de l’écran qui ne réagit pas toujours au mouvement du poignet pour afficher l’heure ou alors avec une fraction de seconde toujours trop longue. La lenteur proverbiale des apps dans watchOS est inévitablement mentionnée comme autre élément aggravant.
La partie santé de la montre échappe à sa critique, mais d’une manière générale le développeur juge que l’objet mériterait de s’en tenir à trois domaines principaux : l’heure, les notifications et le suivi de l’activité.
Pour être géniale, l'Apple Watch doit être repensée pour en faire moins et mieux. Rien n'indique toutefois qu'Apple s'oriente dans cette direction, mais il ne faut jamais dire jamais.
Il est en revanche admiratif du travail réalisé sur le volet matériel « À moins de 1 000 $, je n’ai rien trouvé sur le marché des montres qui soit aussi joli et agréable ». Même compliment à l’endroit des bracelets imaginés par Apple.
Jack Forster souligne l’équilibre entre le produit Apple Watch et la communication autour de lui. Le fond n’a pas été négligé aux dépens de la forme :Ce qui m'effraie dans l'horlogerie de luxe aujourd'hui ces temps ci, c'est qu'elle oublie souvent que concevoir un bon design, et faire en sorte que les détails soient réussis, reste quelque chose d'important. Oui, le luxe est dans une certaine mesure une histoire que l'on va raconter, mais souvent cela se traduit par des produits et des sociétés qui en font énormément sur le marketing et pas assez sur la qualité du produit, et lorsque le décalage entre l'histoire et le produit devient trop visible, les gens s'en désintéressent complètement.
Jonathan Ive avait expliqué l’année dernière que son équipe et lui-même étaient fans de [leurs] montres, d’où une approche plus respectueuse de la concurrence existante lors de la conception de l’Apple Watch, alors qu’ils détestaient les téléphones qu’ils utilisaient avant la création de l’iPhone. Un goût pour les montres chez les concepteurs de l’Apple Watch que devine Forster : « Tout porte à croire qu’elle a été conçue par des gens qui aiment et comprennent les montres, et qui savent que pour qu’un produit de ce genre que l’on va porter puisse fonctionner, il faut qu’il y ait un coup de foudre […] L’Apple Watch est séduisante; les Google Glass ne l’étaient pas, et le reste appartient à l’histoire ».
Ce qui amène à sa remarque sur la place que revêt cette montre dans le milieu de l’horlogerie. D’un côté, l’Apple Watch n’a aucune sorte d’importance pour les amateurs de belles montres mécaniques « parce que ce qu’elle offre est entièrement différent du plaisir que l’on peut ressentir avec une belle montre forte d’une histoire extraordinaire, comme la Sub ou la Speedmaster, ou la relation que vous avez face au mélange d’esthétique, de mécanique et de savoir-faire artisanal venant de gens comme Patek ou Lange ».
D’un autre côté, c’est là justement que l’Apple Watch se révèle un « petit peu dangereuse », même pour les marques de luxe. Par le fait qu’Apple est parvenue à inventer une nouvelle expérience avec cette montre, comme elle l’avait fait avec l’iPhone auparavant. Chose qui devrait inviter l’industrie horlogère à ne pas verser dans l’auto-satisfaction :
Personne ne sait si cette expérience se révélera au bout du compte plus attractive que celle offerte par les montres mécaniques. Mais l'industrie horlogère de luxe ne peut se permettre d'être complaisante. Si elle échoue à comprendre que ce que l'Apple Watch représente n'est pas une concurrence, mais une autre expérience convaincante — et si elle ne prend pas garde au fait que le luxe, en définitive, est une affaire de soins apportés aux détails et pas du marketing ou d'un positionnement tarifaire, elle pourrait aller au devant de sérieux problèmes.
Chez Arment, son expérience mitigée avec le logiciel de l’Apple Watch l’a conduit à se tourner vers une montre mécanique (de l’allemand Nomos) : « Je suis complètement converti et je ne me vois pas porter beaucoup l’Apple Watch à l’avenir — les fonctions supplémentaires qu’elle offre ne me sont pas assez utiles face au plaisir que procure une belle montre mécanique ».
Une montre dépourvue de logiciel, plus simple dans son fonctionnement, moins sujettes aux caprices de l’informatique qui s’insère dans toujours plus d’objets de notre quotidien « C’est agréable d’avoir quelque chose qui en fait moins, qui fonctionne en permanence, qui n’a jamais besoin de mises à jour logicielles, de câble, qui n’a pas besoin d’être chargé et dont la longévité sera certainement supérieure à la mienne ».