« Le baiser de la mort » : c'est en ces termes peu amènes que Joe Kiani décrit les coups de fil qu'Apple passe à de plus petites entreprises dont la technologie l'intéresse. Kiani, est le patron-fondateur de Masimo, un fabricant d'appareils médicaux. Il est aujourd'hui en conflit avec Apple, l'accusant d'avoir exploité certaines de ses inventions par le débauchage de plusieurs de ses employés.
Le Wall Street Journal a discuté avec plusieurs avocats ou dirigeants qui ont connu une (mauvaise) expérience similaire avec Apple. Celle-ci s'intéresse à vous et à vos produits puis elle cesse tout contact et lance ses propres solutions concurrentes, résument certains d'entre eux.
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Masimo fut contacté en 2013 par Adrian Perica, le responsable des acquisitions et fusions d'Apple depuis 2009. Celui-ci a comme seul supérieur Tim Cook. Perica avait manifesté le vif intérêt d'Apple pour les produits de Masimo, sur les projets de l'entreprise et sur les possibilités de les intégrer avec ceux de Cupertino. Notamment la mesure du taux d'oxygène dans le sang.
Quelques mois plus tard, le responsable médical de Masimo annonçait à son patron son départ pour Apple, laquelle lui offrait de doubler son salaire et de lui donner pour quelques millions en actions. Apple rassura Joe Kiani à propos de ce débauchage et les discussions continuèrent, mais au bout du compte ce sont 30 employés qui partirent pour Cupertino.
En 2014, un ancien directeur technique d'une filiale de Masimo — Cercacor Laboratories — fut aussi embauché par Apple, il avait assuré à son futur employeur qu'il pourrait apporter une contribution importante sans empiéter sur la propriété intellectuelle de Cercacor et de Masimo.
En 2020, la fonction de mesure du taux d'oxygène dans le sang arrivait sur l'Apple Watch et Masimo déposait une plainte contre Apple la même année. Le procès est en cours.
Une autre plainte, pour une infraction sur des brevets, fait l'objet d'une instruction par l'International Trade Commission depuis 2021. En janvier, l'ITC a indiqué qu'au moins un brevet pourrait avoir été enfreint par Apple.
D'après Joe Kiani, le débauchage d'employés chez Masimo ne s'est pas interrompu — Apple réfute pour sa part le fait qu'elle ciblerait cette société — et ses frais de justice s'élèveraient pour le moment à 55 millions de dollars. « Lorsqu'Apple s'intéresse à une entreprise, c'est le baiser de la mort » déclare Joe Kiani, « tout d'abord, vous êtes tout excité. Ensuite vous vous rendez compte que leur plan à long terme consiste à faire les choses eux-mêmes et de tout prendre ».
Mesure de la fréquence cardiaque et ECG
Second exemple avec Valencell, concepteur d'un système de mesure de la fréquence cardiaque sur une personne en mouvement. La société fut contactée en 2013 et Apple s'intéressera de près à ses inventions. Au point d'évoquer l'idée d'en prendre des licences. Deux ans plus tard, la fonction était sur la première Apple Watch et les discussions avec Valencell avaient cessé peu de temps avant ce lancement. Il s'en suivit un procès qui déboucha en 2019 sur un règlement à l'amiable.
Une autre affaire, toujours en cours, oppose AliveCor à Apple sur un dispositif pour obtenir un ECG au moyen d'un bracelet. AliveCor avait annoncé en 2016 un accessoire pour l'Apple Watch, homologué l'année suivante par les autorités médicales américaines. En 2018, l'Apple Watch Series 4 offrait la même fonction de manière intégrée.
Deux ans plus tôt, David Albert, le fondateur d'AliveCor, avait été convié par le numéro 2 d'Apple, Jeff Williams, qui supervise également l'Apple Watch et les initiatives santé, à lui faire une démonstration. Après avoir essayé le produit, William aurait déclaré à son invité : « Nous aimerions trouver un moyen de travailler avec vous, mais il est possible que nous nous retrouvions en concurrence ».
Une plainte contre Apple pour pratiques anticoncurrentielles à propos de l'ECG de l'Apple Watch
Une porte-parole d'Apple a déclaré au Wall Street Journal que le développement de la fonction d'ECG avait débuté dès 2012, soit trois ans avant l'arrivée même de la toute première Apple Watch (Series 0). Mais des changements apportés à watchOS ont ensuite empêché le fonctionnement de l'accessoire d'AliveCor, qui a fini par être retiré du marché.
Apple a également répondu au quotidien financier qu'elle avait pris des licences pour plus de 25 000 brevets, auprès de plus petites sociétés, durant ces trois dernières années. Et d'ajouter qu'elle compte se défendre des accusations d'infraction sur des brevets qu'elle estime trop larges et trop généraux dans leur définition.
Dans le cas d'AliveCor qui avait porté plainte devant l'ITC, l'organisation a jugé que trois brevets avaient été enfreints et réclamé, en décembre, l'interdiction de l'importation aux États-Unis des Apple Watch dotée de l'ECG.
Apple a contre-attaqué devant la commission d'appel de l'Office des brevets pour faire invalider — avec succès — ceux au cœur de la procédure d'AliveCor. L'interdiction d'import a été suspendue et Apple a demandé la même invalidation pour sept autres brevets. AliveCor a fait appel de cette décision.
Infraction de brevets : l'Apple Watch se rapproche d'une interdiction des ventes aux États-Unis